De labore solis


"De Labore Solis"
La façade aveugle d'une maison est l'écran de minuscules événements que seul le regard attentif du photographe Yannig Hedel pouvait rendre visibles.
Parmi les dizaines d'immeubles banals qui se dressent dans la région lyonnaise, Yannig Hedel en a choisi un. Sans fioritures pittoresques. La seule particularité qu'offre l'architecture sans génie de l'immeuble est cette haute façade aveugle surmontée d'un toit triangulaire. Pendant six ans, au fil du jour, Yannig Hedel s'est appliqué à photographier cette façade. En noir et blanc.
Il a capté chacune des variations même infimes, qu'y imprimait la lumière du soleil. Et dans cette image réduite à l'essentiel le jeu de l'ombre et de la lumière compose la photographie avec une précision mathématique. De cet exercice d'ascèse, naissent des images d'une grande pureté. Le mur est un écran où travaille le soleil (De labore solis, titre de l'exposition) et la rigueur du photographe.
Dans cette nouvelle série choisie pour cette exposition consacrée aux travaux récents de Yannig Hedel, le spectateur attentif découvre les variations infimes qu'a capté l'objectif. Tantôt la lumière rasante met le toit en vedette. Tantôt elle fait apparaître les aspérités du mur qui prend l'aspect d'un papier froissé. Tantôt, qu'elle vienne de l'ouest ou de l'est, elle découpe des géométries régulières. Tantôt brutale, elle transforme la façade en un écran sans épaisseur.

 

                                                                                                           Corinne Ibram
                                                                                                           (extrait  les "Dernières Nouvelles d'Alsace")


« DE LABORE SOLIS »,
            Pour tout dire...

A Villeurbanne, un pignon très ordinaire est visible depuis un carrefour de la rue de Préssensé. Tourné vers l’Ouest, ce pignon est à l’ombre toute la matinée. Aux beaux jours, à 14h (donc midi à l’heure solaire), une lumière frisante fait apparaître dans la partie inférieure de ce mur aveugle un triangle plus lumineux qui s’accentue ensuite au fil des minutes. Après avoir atteint son intensité optimale, à partir de sa base, ce triangle de lumière se remplit alors progressivement d’une ombre qui finit par l’investir totalement.
Arrivé à son terme, ce second mouvement révèle ainsi entre deux triangles sombres un rai de lumière oblique qui s’élargit et s’incline au fil des mois.
Immédiatement, un troisième mouvement s’amorce quand l’ombre occupant la partie supérieure du pignon se rétracte lentement par le bas pour faire progressivement place à une lumière qui inondera ensuite le pignon durant tout l’après-midi, jusqu’au coucher du soleil.

L’évolution de cette séquence m’a rappelé les horloges astronomiques des cathédrales qui déclenchent chaque heure une scénette animée par des figurines colorées. Sur le mur, ce jeu d’ombres et de lumières ne se déroule cependant qu’une seule fois par jour pour marquer le passage de la pénombre matinale à l'abondante lumière du soleil au zénith.

 Se déroulant durant une douzaine de minutes elle est donc composée de trois mouvements. Trois photos suffisant pour montrer chacun d’entre eux, j’ai opté pour une série de neuf photos.

Satisfait de cette composition, j'ai été néanmoins déçu du résultat à la sortie du labo car, par son cadrage, l’une des photos se démarquait de la série. Cela semblait cependant facile à résoudre puisqu’il suffisait de retourner à la même heure devant le pignon, ce que je fît rapidement dés que la météo et mon emploi du temps le permettait, soit trois semaines plus tard.

Après tirage, nouvelle surprise puisque le rai de lumière oblique n’avait plus ni la même épaisseur, ni la même inclinaison que la série initiale réalisée un mois plus tôt. Je ne pouvais donc compléter cette séquence initiale que six mois plus tard, quand le soleil serait revenu à la même position. En attendant, constatant que cette évolution donnait une « troisième dimension » à mon projet, je l’étoffais alors en réalisant une nouvelle séquence chaque mois.

Cette série, qui sera intitulée plus tard « De labore solis », ayant été réalisée sans pied sous l’appareil, pour préserver néanmoins toujours le même cadrage dans l’axe du pignon, j’ai dû recommencer en me plaçant systématiquement juste devant une plaque d’égoût. Ce fronton prenait alors sa forme la plus minimale, une descente de gouttière disparaissant à gauche, ne laissant apparaître qu’un oeillet formant un point noir sur les photos. Un repère qui me permettait ainsi de conserver une base et une forme permanente du pignon au fil des prises de vue.

La multiplication d’une silhouette toujours identique rappelait aussi la « pattern painting » contemporaine (comme la répétition infinie d’empreintes d’éponges dans la peinture de Claude Viallat). Lors de la première exposition lyonnaise de l’ensemble « De labore solis » , cette idée de prolifération d’une forme a été prolongée par des dessins, notamment pour la conception d’un carton d’invitation sous forme de dépliant.

Puis, m’attardant sur place pour la prise de vue, je découvrais que cette séquence originelle est également suivie dans le courant de l’après-midi par d’autres, aussi surprenantes, ce pignon pouvant alors se parer, partiellement ou en totalité, d’un blanc pur où s'inscrivent des figures sombres.

Entre 1990 et 1996, quand un ciel bleu permettait le parcours de ces ombres sur le mur, je me rendais alors fréquemment in-situ. J’étoffais et complétais les différentes séries. Choisissant souvent une heure pour espérer capter le « chainon manquant » d’une série, j’avais la surprise de découvrir sur ce pignon une figure inédite et totalement imprévue. Comme pour une partie du « jeu des sept familles », en tirant une carte dans l’espoir de finaliser une famille déjà presque complète, mes nouvelles photos en réalité en commençaient une nouvelle qu’il fallait bien sûr compléter ultérieurement.

Après tirage dans le labo, la suite était aussi ludique et peu scientifique. Etalant les photos, je reconstituais mes séries. Mais, par exemple, deux photos contigües, prises à la même époque de l’année pour maintenir la cohérence de l’ensemble, pouvaient en réalité avoir plusieurs années d’écart, ce qui est parfois repérable par la taille des arbres sur les images.

Car, au fil du temps, les arbres poussaient et envahissaient progressivement le bas de mes images, de chaque côté du bâtiment. La forme murale initiale perdait donc sa pureté originelle. Dubitatif, j’envisageais alors d’arrêter. Après réflexion, admettant que cette intrusion végétale représentait la vie et le temps qui passe, j’ai néanmoins poursuivi mes prises de vue. Quelque temps plus tard, un élagage des arbres dans tout  le quartier a écarté ce dilemme.

Pour être exhaustif, il fallait aussi inclure les extrêmes. J’ai donc fait des photos du bâtiment sous la neige ou dans un épais brouillard. Au solstice d’été, j’ai voulu également prendre la photo la plus tardive que l’on pouvait faire sans pied.

Pendant longtemps, j’avais pensé que ce pignon restait constamment dans l’ombre en hiver, jusqu’au jour où je me suis souvenu qu’avec le changement d’heure, en cette saison, je devais me rendre sur place une heure plus tôt. Ainsi je découvris à nouveau d’autres séquences, brèves mais aussi intéressantes que les précédentes, et prolongeant curieusement les mouvements de la grande série.

Les prises de vue du pignon commencées en 1990, se sont achevées en 1996 quand cette façade aveugle a été progressivement envahie par du lierre. Peu après, l’accès au parking où je me positionnais pour prendre mes photos a été condamné par une barrière actionnée par un digicode réservé aux locataires. J’ai alors cessé les prises de vue « De labore solis ». Ainsi, même tenté, je n'aurais donc pût me consacrer uniquement à cette série tel Opalka qui a écrit des nombres sur ses toiles toute sa vie.

Depuis, par la visite de sites aussi symboliques que la basilique de Vézelay, les cathédrales de Bourges ou Chartres, je découvrais qu’avec mes photos, le pignon ouest de mon HLM villeurbannais succédait à d’illustres prédécesseurs qui révélaient également la course du soleil. Par exemple, l’implantation choisie pour la basilique de Vézelay permet de voir neuf flaques de lumière dans l’axe de la nef uniquement le jour du solstice d’été, alors qu’à Bourges, un gnomon encastré au sol de la cathédrale reçoit l’extrémité d’un rayon solaire indiquant également la position la plus haute du soleil, au solstice d’été.

Complétée par les ultimes séries hivernales, l’intégrale de l’ensemble « De labore solis » a été exposé en 2000 aux Beaux-Arts de Nantes où ont été accrochées les 160 photos qui la composent maintenant.

Il n’existe toujours qu’un seul exemplaire de la « Grande série » complète (45 photos) qui a été présentée par la galerie Thierry Bigaignon à Paris Photo 2019 après avoir été accrochée au fil des ans dans différents pays européens (France, Allemagne, Suisse, Espagne, Pologne, Rep. tchèque…). Donc une série jamais vendue dans sa totalité, même si Charles-Henri Favrod* a tenté de me convaincre d’en faire don au musée de L’Elysée quand la série « De labore solis » a été présentée à Lausanne, m’expliquant qu’à son avis cette série devait entrer dans un musée.

J’ai récemment trouvé dans mes archives d’autres tirages que j’ai retouchés à la faveur du temps libre laissé par le confinement. Sous deux formats différents, c’est donc maintenant 400 tirages « De labore solis » qui ont été signés, référencés et classés dans mes archives ou déposés à Paris.

                                                                                                                                        Y.HEDEL - Janvier 2021



                                                  " Au 186 Rue de Pressensé, au fil du temps"


En hiver,
"au 186, Avenue de Pressensé,
le pignon du fond de la cour est totalement dans l'ombre.
Au printemps,
en haut,
à gauche de ce pignon apparaît un petit triangle blanc.
Cette tache de lumière grandit de mois en mois
pour envahir le mur durant l'été.
A cette époque,
en arrivant au zénith,
le soleil déclenche chaque jour un jeu d'ombres
ordonnées comme un mouvement d'horloge.
Lorsque  la dernière forme sombre de cet enchaînement se rétracte,

elle dévoile un mur d'un blanc éclatant

que le soleil ponctue d'ombres chinoises jusqu'en soirée.
Ce pignon aveugle se transforme alors en un écran de cinéma

où, dans une lumière crépusculaire,

le soleil projette des paysages évanescents.
Avec la fin de l'été,
peu à peu,
la lumière régresse puis,
à l'automne,

le mur retombe dans la pénombre.

Yannig Hedel
Septembre 93

Le printemps


L'été


L'automne


L'hiver


Yannig Hedel - Světlo a stín v plynutí času
Fotografie jsou řazeny do sérií, které vybízejí diváka, aby v proměnách denního světla a ve hře stínů pozoroval dráhu slunce a plynutí času a všímal si nepatrných změn v kameni budov. Nejvýznamnější série, nazvaná De labore solis, ve své původní podobě obsahuje 150 snímků štítu jednoho obyčejného domu, který byl v průběhu šesti let fotografován stále ve stejném úhlu ve všech ročních obdobích a v každou denní hodinu.tisková zpráva
Konceptuální hrátky Yanniga Hedela se světlem, pozorovací a kompoziční schopnosti zhotovovat sekvenční série přesahuje od statické fotografie do videa. Herci však nejsou lidé, ale světlo a stín se strukturou architektury. Na zdech domů se objevuje a zase mizí děj, který je pokaždé jiný. Je až fantastická sama obyčejná skutečnost, kterou Hedel zobrazuje - jeden večer projektovaný na promítací plátno domu jako na matnici fotoaparátu... Snímá sekvenčně, podobně jako snímá videokamera. Ale výsledek fotografických skic je o mnohem dál, má mnohem větší výpovědní hodnotu než videosnímek. Na něm totiž nikdy neuvidíme celý děj na jeden jediný pohled. Fotografie to dokáže. Yannig Hedel to dokáže.*

* Trad. :

Yannig Hedel - Ombre et lumière au fil du temps
Les photographies sont disposées en série qui encouragent le spectateur à observer la trajectoire du soleil et le passage du temps dans les changements de lumière du jour et dans le jeu des ombres et à observer les légers changements dans la pierre des bâtiments. La série la plus importante, intitulée De labore solis, dans sa forme originale contient 150 images d'un pignon d'une maison ordinaire, qui a été photographiée sous le même angle en toutes saisons et à toutes les heures de l'année pendant six ans.
Le jeu conceptuel de Yannig Hedel avec la lumière, la capacité d'observation et de composition pour produire des séries séquentielles va au-delà de la photographie fixe jusqu'à la vidéo. Les acteurs, cependant, ne sont pas des personnes, mais des ombres et des lumières avec la structure de l'architecture. Sur les murs des maisons apparaît et disparaît à nouveau, ce qui est toujours différent. C'est un fait ordinaire fantastique que Hedel dépeint - un soir projeté sur l'écran de projection d'une maison comme l'écran de mise au point de la caméra ... Il tire de manière séquentielle, tout comme une caméra vidéo. Mais le résultat des croquis photographiques est beaucoup plus éloigné, et il a une valeur beaucoup plus informative qu'une image vidéo. Car il ne verra jamais toute l'histoire d'un seul coup d'œil. La photographie peut le faire. Yannig Hedel peut le faire.

 

 

 

 

Expositions "De labore solis"




La plus grande série "De labore solis" est composée de 5 rangées de 9 photos. Ces 9 photos composent une séquence horizontale, formée de 3 mouvements qui se succédent in-situ en quelques minutes, tel les mouvements d'une horloge astronomique. Par beau temps, cette séquence débute tous les jours vers 14h (heure d'été, soit midi à l'heure solaire), sur le pignon ouest d'un immeuble HLM de Villeurbanne. En recueillant des figures évoluant au gré du parcours du soleil, cet HLM succède ainsi à d'autres illustres édifices, tels la basilique de Vézelay ou la cathédrale de Chartres (voir ci-dessous)...


La transcription cosmique de la lumière solaire au fil du temps...

la basilique de Vézelay ne se contente pas de jouer de la lumière à l'intérieur de ses murs. Elle s'inscrit au cœur de l'univers comme pour mieux le rassembler en elle. C'est ce que disent les représentations de l'universalité spatiale (les peuples du monde) et temporelle (le calendrier) du grand tympan.
Mais c'est ce que manifeste aussi l'extraordinaire et admirable inscription de l'édifice dans le cycle cosmique du soleil. Lorsque les moines bâtisseurs en conçurent la disposition et l'élévation, ils parvinrent à placer les ouvertures de telle manière que la lumière qui y passe s'inscrive en taches régulières sur les murs et le sol de la nef. Ainsi le chemin de lumière de la nef est-il magnifiquement inscrit au sol, dans l'axe central, par neuf taches de lumières parfaitement alignées à l'heure du midi solaire, au solstice d'été (21 juin); le 21 décembre, au solstice d'hiver, ce sont les chapiteaux supérieurs du mur nord de la nef que la lumière solaire de midi vient frapper, avec une régularité parfaite.

En 1976 après plus de huit siècles, Hugues Delautre l'un des pères franciscains chargés depuis 1966 de la desserte du sanctuaire de Vézelay, découvre que non seulement l'axe d'orientation de La Madeleine, mais aussi sa structure interne, ont été déterminés en tenant compte de la position de la terre par rapport au soleil. Chaque année la fête de Jean-Baptiste révèle les dimensions cosmiques de cette église : au plein midi   du solstice d'été, quand le soleil est en culmination par rapport à la terre la lumière venue des fenêtres sud projette des flaques lumineuses qui s'établissent dans le plein milieu de la nef avec une rigoureuse précision.

L’alignement des temples sur les corps célestes n’est pas un usage spécifique aux temps préhistoriques et païens, ou aux civilisations orientales. L’Europe chrétienne du Moyen Age le pratiquait aussi. De la part des premiers chrétiens, c’était un peu une manière de récupérer à leur profit les traditions païennes. Cependant, même aujourd’hui, les églises et les tombes sont souvent orientées est-ouest, et les autels des églises vers l’est, c’est-à-dire vers le Soleil levant, où le Christ doit apparaître, lors de son retour, selon la cosmologie chrétienne.

Mais, en fait, les églises médiévales étaient en général alignées sur la position du Soleil le jour de la fête du saint à qui elles étaient dédiées, et non sur l’est. Une étude effectuée sur près de trois cents églises anglaises par Hugh Benson, en 1950, a montré que la majorité des bâtiments étaient effectivement orientés de cette manière. Le même chercheur a trouvé également que la très ancienne église Saint-Piran, en Cornouailles, était alignée sur une levée de terre préhistorique se trouvant à 5 km et correspondant au point du lever du Soleil le 15 août, au VIIe siècle.

Bien qu’il existe peut de documents écrits sur le sujet, il semble que, dans l’Europe du haut Moyen Age, l’astronomie ait été utilisée d’une manière plus complexe. On trouve des éléments très intéressants dans la cathédrale de Chartres, un des plus beaux fleurons de l’architecture gothique, qui a été construite à l’emplacement d’un important centre druidique établi par les Carnutes, peuple celtique de la Gaule, devenu par la suite un lieu de culte pour les Romains. Certains scientifiques estiment que le caractère sacré du lieu a précédé l’âge de fer celtique, et qu’au néolithique il y avait là un dolmen. La fondation de la cathédrale est peut-être également liée au retour des Templiers de la croisade en Terre sainte. L’ordre religieux et militaire des Templiers, constitué en 1118, était établi au temple de Salomon à Jérusalem, où il recherchait, dit-on, l’Arche d’alliance. En effet, à l’extérieur de la cathédrale de Chartres, on trouve des sculptures représentant des scènes liées à cette arche.

A midi, au solstice d’hiver, lorsque le Soleil est à son apogée, un rayon de lumière traverse un petit morceau de verre non coloré d’un vitrail dédié à Saint Apollinaire. Ce pinceau de lumière tombe sur une dalle de pierre qui diffère de celles qui l’entourent : elle est plus grande, d’une autre nuance de couleur, désaxée et, plus significatif encore, elle comporte un petit disque de métal. Le rayon de Soleil du solstice tombe juste sur celui-ci.

Certains spécialistes disent qu’il s’agit d’une coïncidence. C’est une démarche scientifique étrange, mais elle participe de la volonté d’effacer de la cathédrale de Chartres tous les éléments préchrétiens qui, selon d’autres chercheurs, ont été intégrés dans cette remarquable construction par les maîtres maçons.La cathédrale d’Aix-la-Chapelle, en Allemagne, présente elle aussi des éléments astronomiques de grand intérêt. Le site était fréquenté par les Celtes, par les Germains et par les Romains, parce qu’il comportait des sources d’eaux thermales ayant, disait-on, des propriétés médicinales. Au VIIIe siècle, Charlemagne décida d’y construire son palais impérial, pour créer une « seconde Rome ». L’empereur qui souhaitait éliminer le paganisme de ses territoires, attirait à la cour des savants et des artistes de toute l’Europe, et cherchait à renouer avec la vitalité artistique et scientifique de l’Antiquité. La chapelle octogonale de son palais, située au-dessus de bains romains, est intégrée dans la cathédrale actuelle. Un jour, vers la fin des années 70, un photographe, Hermann Weisweiler, attendait une lumière favorable pour prendre des clichés ; il vit un rayon de Soleil traverser soudainement, exactement à angle droit, une fenêtre supérieure de la chapelle octogonale. Très étonné, il poursuivit ses observations et constata que la chapelle était un véritable cadran solaire.

A midi, le 21 juin, jour du solstice d’été, un rayon de lumière tombe directement sur la boule dorée qui pend du plafond en dôme, surmontant le « chandelier de Barberousse » qui représente la Jérusalem céleste. A cette date, au VIIIe siècle, un rayon de Soleil devait aussi illuminer le visage, ou la couronne, de Charlemagne lorsqu’il était assis sur son trône, utilisé pour les couronnements pendant tout le Moyen Age. A midi, au solstice d’hiver, le Soleil éclaire une mosaïque montrant le Christ entre les symboles alpha et oméga, représentant le Commencement et la Fin. Et lorsque Charlemagne se levait de son trône, lui seul devait voir à travers une fenêtre supérieure, à l’équinoxe, le Soleil levant briller à l’horizontale. Et, qui plus est, un rayon de Soleil tombait sur le trône le 16 avril, date de naissance de l’Empereur.

La cathédrale de Saint-Lizier, dans l’Ariège, étudiée en 1981 par trois chercheurs, présente un axe central aligné sur les équinoxes, dont le prolongement vers l’est et vers l’ouest passe par deux autres églises. Deux croix, situées à 1,5 km de part et d’autre de la cathédrale, marquent l’alignement sur le lever du Soleil au solstice d’été, tandis que la ligne correspondant au lever du Soleil au solstice d’hiver joint la cathédrale au mont Redon, ancienne colline sacrée, au nord-est, et la chapelle de Marsun, au sud-est.

A Elm, dans le canton suisse de Glarus, le Mont Tschingelhorner, qui domine le village au sud-est, est percé d’un tunnel naturel de 20 mètres de diamètre, appelé « trou de Saint Martin ». Selon la légende, Saint Martin l’a percé en lançant sa canne ferrée contre un géant. Chaque année, au moment des équinoxes, les rayons du Soleil levant passent par ce trou, et illuminent pendant deux minutes la tour de l’église de Saint-Elm, distante de 5 km. Le phénomène est évidemment antérieur à l’ère chrétienne, mais il est significatif des préoccupations astronomiques qui présidaient au choix de l’emplacement des églises. On constate d’ailleurs que quatre autres églises des Alpes présentent un phénomène similaire.

Orientations
Habituellement les cathédrales s'orientent dans l'axe est-ouest, soit: le cœur de l'édifice, printemps, aube - portail, automne, crépuscule. Ces deux directions donnent logiquement, depuis le transept, le nord et le sud. Soit: souvent les entrées latérales ou d'importantes chapelles, hiver et obscurité en opposition à été et clarté solaire du zénith... le midi.

Le lieu précis où se "croisent" l'espace et le temps ainsi que leurs sens quaternaires symboliques, le Transept, est le véritable axe de la cathédrale.


Le centre précis
Le centre précis de la croisée du bâtiment est le lieu où fut dressée la naissance géométrique de la construction: la Colonne (ou Mât). Une sorte de bâton vertical qui porte son ombre de l'ouest au levant définira le " Decumanus". Le midi solaire plein donnera le nord et logiquement le sud, ce sera le "Cardo".

C'est ainsi qu'il est possible de retrouver facilement la date de dédicace de n'importe quelle cathédrale, construite sur ce principe, en redéfinissant ce tracé simple mais d'une précision digne des plus performants de nos modernes théodolites.

Ajoutons que les 4 points cardinaux tracés dans le cercle marqueront le "Cercle du Ciel" et les 4 autres angles portés à 45° donneront le "Carré de la Terre".

4 directions, un cercle et 4 couleurs
Un cercle dont le point central est la colonne de lumière donnera sur le terrain les angulations d'où surgira l'édifice. Dans ce cercle "solaire" seront tracés, à 45° de chaque direction cardinale, 4 points engendrant les coins d'un carré. Les 4 angles de cette figure seront les départs des colonnes ordonnant le sol, donc l'âme, de la cathédrale et la longueur définitive de la nef ainsi que celle du transept. De ce point seront définies les 4 couleurs de l'édifice: le bleu sombre du nord, le jaune du sud, le vert à l'est et enfin le rouge à l'ouest. Notons à ce sujet une seule complémentaire pour trois primaires.

L'art de la maîtrise
S'il n'est pas question de minimiser les autres points de la cathédrale qui ont tous une importance et une fonction essentielle, il est capital de noter que ce secteur géométrique, extrêmement simple dans sa mise en oeuvre, est primordial pour la naissance de l'ensemble des bâtis de l'édifice. De ce secteur étroitement et rigoureusement défini surgira toute la "genèse" et même la "génétique" de la puissance hermétique de la construction. Le reste de l'édifice sera basé sur la raisonnance (raison) et la vibration émise par le transept. C'est à dire qu'en ce point est l'origine profonde et hermétique de l'esprit des fantastiques vaisseaux de pierres lancés il y a 7, 8, 9 siècles et parfois plus! Belle leçon de maîtrise, et de modestie, que nous donnent ces maîtres constructeurs souvent armés d'une seule corde et d'une règle...

Les deux Saint Jean
La Saint Jean d'Eté a lieu trois jours après le solstice d'été, soit le 24 juin ; c'est le début du déclin du soleil : les jours diminuent au profit de la nuit.
L'opposition des solstices d'été et d'hiver se retrouve ici dans l'opposition des naissances du Christ et de Jean.

Elle a lieu le 27 décembre. Cette fois-ci, nous fêtons Jean l'évangéliste, auteur de l'Evangile du même nom et de l'Apocalypse. Les deux Jeans, opposés sur le calendrier et opposés dans les phases ascendantes et descendantes du soleil, se retrouvent aussi dans le dieu romain Janus ( Janus = Jean ), le dieu bicéphale que l'on voit dans le calendrier zodiacal de la porte St Firmin. Il représente la dualité de l'être, l'homme vieux ( le Baptiste) faisant place à l'homme neuf (l'Evangéliste) : l'année ancienne cède place à l'année nouvelle.

C'est une fête solaire : on y célèbre la victoire de la lumière sur les ténèbres. La fête de Noël est très proches du solstice d'hiver, jour de la nuit la plus longue, mais surtout jour à partir duquel le jour gagne sur la nuit. C'est une fête que l'on célèbre par des feux, source de vie et de chaleur.

Les celtes célébraient la "Modra Necht", ou solstice d'hiver, qui donnait lieu à la cueillette du gui suivant un certains rituel : le gui coupé, le druide s'exclame : "O ghel an heu !" : c'est à dire : "le blé lève", phrase qui nous est parvenu sous la forme "Au gui l'an neuf". C'est une fête de la régénération.

Les deux Jean sont donc fêtés en opposition : opposition sur le calendrier mais aussi opposition dans les phases ascendantes et descendantes du soleil.
Ainsi la Saint Jean d'été marque-t-elle le jour où le soleil décline et où les jours diminuent pour faire place à des nuits plus longues. La Saint Jean d'hiver marque le passage à l'année nouvelle.

Les deux Jean qui s'opposent, ou mieux les deux Janus, mieux encore : le dieu romain Janus, le bicéphale avec une tête jeune, et une autre vieille, une tournée vers l'an jeune, l'autre vers l'an vieux, l'homme vieux (le Baptiste), cédant sa place à l'homme jeune (l'Evangéliste), l'avenir et le passé, le passage d'un état à un autre, d'une vision à une autre, d'un univers à l'autre.